"Le métier de marin pêcheur est toujours un challenge. On ne sait jamais combien on va gagner à l'avance, donc à chaque fois, il faut se battre. Il y a une remise à zéro à chaque campagne." - NATUA Rolan, Capitaine du Vini Vini X
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Natua Roland, je suis le capitaine du Vin Vini X. J’ai 50 ans et je suis originaire de Tikehau. Je suis venu à Tahiti pour mes études au lycée. Je suis entré chez Vini Vini en 1998, jusqu’en 2007 ensuite j’ai pris un an de dispo avant de revenir dans la société, car j’ai eu un problème familial.
Comment es-tu devenu marin pêcheur ? Qu’est-ce qui t’as poussé à devenir capitaine ?
A l’origine, à Tikehau, mon père avait des parcs à poisson. On aimait la mer, on a grandi avec.
Puis j’ai commencé à pêché en tant que marin à bord d’un thonier américain pendant 2 ans. C’était un bateau qui fait de la pêche à la traîne. Ça consiste à traîner des lignes derrière le bateau. On allait carrément au Sud, à 10 jours d’ici. On remplissait le bateau de thon blanc puis on débarquait aux Îles Samoa. Après, la long line est arrivée chez nous Là, ils ont commencé à construire de nouveaux bateaux, dans les années 1990. Du coup on a commencé à aller à l’école à Motu Uta. On souhaitait aller à l’école pour être capitaine car il eu un grand besoin de capitaines. Je suis capitaine depuis 1991.
Que penses-tu de votre rémunération et du système à la part ?
Ce système est avantageux chez nous. Par contre, il faut aller chercher le poisson. « no fish, no money ». Nous sommes payés par rapport à ce qu’on attrape. S’il n’y a pas beaucoup de thon, pas beaucoup de paye. Après, on a un contrat avec le territoire et les armateurs qui nous permet d’avoir un salaire minimum de 100 000 FR si le bateau revient à vide ou s’il est en panne durant un bon moment, l’armateur est obligé de nous verser cette somme.
Qu’est-ce qui te passionne dans ce métier ?
Le challenge. Le métier de marin pêcheur est toujours un challenge. On ne sait jamais combien on va gagner à l’avance, donc à chaque fois il faut se battre. Il y a une remise à zéro à chaque campagne. Après, selon l’expérience, on sait plus ou moins les zones à pêcher selon les périodes. Tel mois, on sait que la zone est à tel endroit. Après, nous avons la nouvelle technologie aujourd’hui, et grâce à ces nouveaux appareils de navigation, nous sommes beaucoup aidés. Ca améliore le rendement avec ces appareils.
Combien êtes-vous dans l’équipage ?
Pour moi, ça fait 20 ans que j’ai le même équipage. Nous sommes autre en tout. Le mécano, les deux pêcheurs et moi. On ne change pas une équipe qui gagne.
Ce qui veut dire qu’il y a une bonne entente entre vous ?
C’est la base de la pêche. Si tu as un bon équipage, tout se déroule bien, il n’y a pas de souci en mer. Parce que la plupart du temps, ça arrive qu’il y a des bateaux qui rentrent car il y a un problème d’équipage et à chaque fois ils vont changer et à force de changer, ça devient difficile de maîtriser le marin car on ne connaît pas son caractère. Moi, je connais mes gars par cœur: je connais leurs défauts, je connais les moments où il vaut mieux ne pas trop les gronder. On vit quand même 2/3 de l’année ensemble en mer donc il faut savoir gérer ça. Lorsqu’on est à terre, chacun fait sa vie, mais lorsqu’on est en mer, je suis un peu comme le papa. Je connais leur personnalité, alors je sais que lorsqu’un marin commence à bouder, alors il faut rapidement le calmer. C’est important. Il ne faut jamais s’énerver en mer. Sinon ça fout la campagne en l’air. C’est important de savoir gérer tout ça et avoir de la communication entre nous.
Comment se passe votre roulement d’équipage ?
De temps en temps, lorsqu’un de mes gars veut prendre des vacances, un remplaçant de VINI VINI vient. C’est trop dur d’aller à 3 en mer. L’idéal c’est 4. Enfin, 3 c’est possible mais s’il y a un accident, il faut directement rentrer.
Que peux-tu dire sur le confort du navire ?
J’ai travaillé quand même 13 ans sur le IRAULTZA et là avec le VVX, c’est le jour et la nuit. Le confort est différent, je ne regrette pas de monter sur un nouveau bateau. C’est un bateau qui a été conçu pour la pêche et l’équipage. Le confort est important en mer. C’est primordial. Si on dort mal, on ne travaille pas bien et ça impact sur le travail. Ca fait effet boule de neige et à la fin, il n’y a pas beaucoup de poissons.
Penses-tu bien être équipé pour partir en campagne ?
Là, le VVX est bien équipé. Mais j’ai fait des modifications, car le bateau sort de cale mais il y aussi les améliorations du capitaine à faire car c’est lui qui travaille dessus. Avec l’accord bien sûr, de Yann.
Penses-tu être bien entouré par l’équipe à terre en cas de problème en mer ?
On reste en contact tous les jours. Ils nous envoient des mails tous les jours, surtout vis-à-vis de la position des navires de la société. En cas de problème, nous avons le téléphone satellite. On appelle si on est en besoin de pièces ou si il y a un malade à déposer. Il y a une bonne communication entre nos bateaux et l’équipe à terre. C’est rassurant de savoir que l’on a un suivi satellite. Puis en même temps, ils nous envoient également des informations. Par exemple, s’il y a des navires étrangers concentrés à un endroit, nous on ne peut pas savoir mais l’équipe à terre si. Alors ils nous envoient les informations pour nous dire qu’il y a une zone de pêche à tel endroit car il y a une concentration de bateaux étranger à l’extérieur.
Ce qui est bien avec VINI VINI, on fait déjà notre liste de problèmes que nous avons sur le bateau. On envoie déjà les informations aux responsables qui vont préparer ce qu’il y a au niveau des pièces, ils vont préparer notre arrivée. Comme ça lorsqu’on arrive à quai, on décharge le poisson, on nettoie le bateau et l’équipe à terre prend le relai, ce qui nous permet de nous reposer et retourner rapidement auprès de notre famille jusqu’au jour du départ.
Quel est le système de communication que vous avez à disposition ?
On a la radio. En général, entre bateau on a toujours la radio. Si on n’arrive pas à avoir le bateau qu’on veut avoir, on a le téléphone satellite avec lequel on peut appeler qui l’on veut. Que ça soit sur terre ou en mer.
Du coup, cela te permet également de contacter ta famille ?
Exactement. D’ailleurs, c’est pour ça que ça fait longtemps que je suis dans la pêche. Ma famille est toujours là avec moi, je les appelle assez souvent lorsque je suis en mer.
Êtes-vous libre de votre choix de nourriture en mer ?
Nous sommes libres de gérer notre nourriture. On nous donne un chèque et c’est à nous de voir ce que l’on prend. On mange bien en mer, c’est comme si on mangeait à terre. Ce qu’on mange à terre, on mange en mer. Quand c’est les anniversaires ou les jours de fêtes qu’on passe en mer, on ne se prive pas. On est assez libres de ce côté-là.
Est-ce qu’il y a une entraide avec les autres bateaux du groupe ?
Oui, on s’entend très bien. Si par exemple ils ont un problème et que j’ai la pièce, on se donne rendez-vous sur une île pour éviter qu’ils reviennent sur Tahiti. Au pire, si on n’a pas cette pièce, il fait une escale sur une île, ou si la panne est vraiment importante, il est obligé de revenir à Tahiti. C’est important d’avoir une bonne entente entre capitaines.
On s’entend aussi bien avec notre propre équipage, les autres bateaux du groupe et l’équipe de l’armement à terre. Chacun a son boulot à faire, il y a une bonne entente et tout se passe bien. On est indépendants des uns des autres mais on s’entraide également.
Comment est-ce que vous gérer lorsqu’il vous arrive de pêcher accidentellement des espèces protégées ?
C’est très rare d’en pêcher. Sur mes 30 ans de carrière, on peut dire que j’en ai eu 3. Déjà c’est accidentel. Et la pêche long line est une pêche ciblée. On cible les espèces de poissons comme le haura, le mahi mahi. C’est rare qu’on ait des espèces protégées mais lorsque c’est le cas, on les relâche.
Comment est-ce que vous conditionner le poisson en mer afin de préserver sa qualité ?
Nous, on fait de la pêche fraîche donc le poisson est mis sous glace. On nettoie bien le poisson et après on le met sous glace. C’est important de saisir au plus vite le poisson. On nettoie vite le poisson pour le mettre dans la glace. Et le principe est le même pour toutes les espèces de poisson. Par contre, il y a une espèce que l’on chouchoute bien : le thon rouge car sa valeur marchande est vraiment au top et assez fragile par rapport aux autres espèces alors il faut mettre un peu plus de temps sur ce poisson.
Quel est le principe du traitement sur glace ? De la chaîne de froid ? De la méthode de saignement ?
Pour le nettoyage du poisson, on enlève tout ce qui n’est pas bon, son estomac, les branchies… Il faut bien le saigner, c’est très important de bien le saigner. Il faut éliminer le sang dans la chair. C’est la méthode de saignement, une méthode que les japonais ont inventée il y a un bon bout de temps mais nous on l’a améliorés. Après il faut rapidement mettre le poisson dans la glace. Parce que le poisson est assez chaud et si on le laisse par exemple 1h sur le pont, la valeur de celui-ci va vite descendre car il va commencer à pourrir. En général, il faut qu’en 4 minutes il soit dans la glace. Il ne faut pas dépasser 15 minutes. L’idéal ce n’est pas de dépasser 4 minutes.
Les équipes du mareyage pourront voir si le poisson a été bien traité ou pas. On peut déjà voir la qualité par l’extérieur mais après ils vont regarder l’intérieur pour bien voir en faisant une entaille sur la queue ou ils vont mettre un fin tuyau par l’anus et lorsqu’on le retire, on pourra voir la qualité du poisson grâce à la chair. Là on pourra savoir s’il a été bien traité ou pas.
C’est très important en mer de préserver la qualité du poisson. On ne peut pas tricher. Si on fait autre chose en mer, le mareyage va le savoir. D’ailleurs, à chaque fin de déchargement, on nous envoie un rapport pour dire que tel poisson est de qualité ou tel poisson est moindre. C’est à nous de voir à la prochaine pêche comment s’améliorer. On ne peut jamais avoir 100% mais il faut s’en rapprocher. Ainsi, l’armateur est content tout comme l’équipage.
A partir du moment où on le descend rapidement dans la glace et qu’il est bien traité, au bout de 15 jours, c’est comme si qu’il venait d’être pêché lorsqu’on le sort. Si ce n’est pas bien traité, au bout de 15 jours, la qualité se détériore.
On ne juge pas la pêche sur une campagne. On juge la pêche sur l’année.
Penses-tu être bien accompagné dans vos formations maritimes ? Ces formations sont-elles suffisantes pour permettre à l’équipage d’avoir les qualifications requises en cas de problème ?
La Formation maritime… Au bout de 5 ans, nous sommes obligés de repasser. Par contre, il y a une formation hygiène que l’on fait avec Andreas tous les ans. Cela comprend avec la visite d’hygiène sur le bateau. Andreas va voir ce qu’on a fait en un an et il va nous dire « telle pêche la qualité est moindre ». C’est très important l’hygiène. La formation d’hygiène peut changer aussi. L’année prochaine il pourrait y avoir un nouveau truc à faire, à apprendre. Ce n’est jamais pareil.
Ces formations permettent d’avoir des qualifications. Tous les jours on en apprend.
Penses-tu que la pêche au niveau local s’est mieux développée ?
On peut dire que oui, car les bateaux se construisent. Ce n’est pas le poisson qui manque, surtout que notre zone de pêche est très vaste et il y a encore pleins de zones à voir en Polynésie.
Quelles différences y a-t-il entre la pêche d’aujourd’hui et d’hier ?
Déjà les appareils. Avant, on naviguait un peu au hasard, à l’aveuglette. Faut dire aussi qu’il y a 20 ans il y avait moins de bateau. On disait qu’il y avait beaucoup de poisson car il y avait moins de bateau, mais aujourd’hui c’est toujours pareil. Il y a 20 ans, comme il y avait moins de bateaux, la zone de pêche n’était pas vraiment pêchée alors on disait qu’il y avait beaucoup de poissons. Aujourd’hui, il y a toujours la même quantité de poisson mais il y a beaucoup plus de bateaux. Le poisson est partagé entre les bateaux. La quantité ne change pas. Le poisson est toujours là. Si le nombre de bateaux augmente, il y aura plus de poissons pêchés. Il y aura toujours du poisson, la zone est tellement vaste.
Ça ne va jamais détruire la long line qui est une pêche ciblée.
Le long line est une pêche qui nous permet donc de préserver nos ressources ?
Exactement, oui. Les poissons qu’on pêche sont rarement des petits pour préserver leur cycle de reproduction. Ça arrive qu'on en attrape mais on les relâche. Déjà parce que c’est trop petit et invendable et ça prend de la place pour rien dans la cale.
Quels sont donc les avantages de la pêche au long line ?
Comme je l’ai dit, avec cette technique de pêche, on ne détruit jamais l’écosystème. C’est une pêche durable. On ne vide jamais le garde à manger car il y a toujours du poisson.
Que penses-tu du fait que notre zone de pêche soit surveillée et interdise la pêche étrangère ainsi que le pillage ?
Oui c’est une bonne chose car ils sont quand même une bonne centaine de navires. Le territoire a dit stop grâce à nous. Avant, les japonais ils venaient pêcher et donnaient une redevance au territoire mais lorsqu’on compare à ce qu’ils pêchent, c’est juste un pourboire donc on a interdit. Cette zone est pour les polynésiens.
Comment est-ce que vous traitez vos déchets ?
Tout ce qui est biodégradable, il n’y a pas de souci, on les balance en mer. Par contre, tout ce qui est plastie, aluminium, boîte de conserve, on les ramène à terre. J’insiste bien sur le plastique car nos appâts sont dans des plastiques. C’est le grand fléau qu’on a. Il nous arrive de voir des mètres de plastiques en mer. Le plastique flotte et le poisson mange le plastique. Qui mange le poisson ? C’est nous.
Un dernier mot ou des encouragements pour les futures générations ?
Je pousse les jeunes à venir. A un moment donné, on va passer la main, nous ne sommes pas éternels. Il faut foncer. Déjà, c’est du boulot pour la population et en même temps c’est un travail propre. J’insiste pour que les jeunes aillent se former et il y a des entreprises comme VINI VINI qui vont embaucher des stagiaires sur les bateaux les former afin qu’ils soient de futurs marins ou par la suite, devenir capitaine. La pêche c’est l’avenir du Fenua.